Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Indépendances africaines en Afrique noire : Le professeur Sylvain ANIGNIKIN pour la déconstruction des idées reçues

par Justin AMOUSSOU 9 Octobre 2013, 19:05 Afrique Indépendance Colonisation

Indépendances africaines en Afrique noire : Le professeur Sylvain ANIGNIKIN pour la déconstruction des idées reçues

Le discours historique sur les indépendances africaines est-elle fiable? Les savoirs élaborés dans le cadre de l’écriture de cette histoire traduisent-ils fidèlement les jeux d’acteurs tels qu’ils ont été vécus dans leurs contextes respectifs ? Sans prétention, le professeur titulaire d’histoire Sylvain Coovi ANIGNIKIN propose une déconstruction. C’est à travers son ouvrage intitulé « Les indépendances africaines, Cinquante ans après : Nouveau regard sur le processus de décolonisation en Afrique noire ».

Il n’est pas un has been dans le domaine de l’histoire. Loin s’en faut. Son livre intitulé « Les indépendances africaines, Cinquante ans après : Nouveau regard sur le processus de décolonisation en Afrique noire » paru en mars 2013, le projette encore au devant de la scène. D’emblée, le professeur titulaire des universités Sylvain Coovi ANIGNIKIN intrigue le lecteur en s’interrogeant sur la non utilisation du verbe « décoloniser » sous une forme pronominale pour devenir « se décoloniser ». Un peu comme pour préciser que les initiatives d’accéder à l’indépendance peuvent émaner aussi bien du colonisateur que du colonisé. Le Coordonnateur de la filière histoire de l’école doctorale pluridisciplinaire de la Faculté des lettres, arts et sciences humaines de l’université d’Abomey-Calavi cite en exemple, les réalités historiques vécues par le peuple vietnamien, algérien et angolais. Selon lui, quoi qu’il en soit, le mot "décolonisation" tel qu’il est employé dans le discours historique dominant est impropre pour examiner à la fois, les luttes menées par le colonisé d’une part, et les initiatives prises par le colonisateur d’autre part. Dans un style accrocheur, il jette un regard nouveau sur la décolonisation en Afrique noire.

DECONSTRUCTION SUR TROIS MYTHES

Sans détours, il soutient que l’histoire de la décolonisation est encombrée par un certain nombre de mythe, d’idées reçues et de contre vérités qui en faussent la lecture et la compréhension. De ces mythes, il en énumère trois qu’il qualifie de tenaces. Le premier se rapporte à la formule l’« homme de Brazzaville », surnom attribué au général Charles de GAULLE. Pour lui, la déclaration du général de GAULLE ne constituait pas une nouveauté à la conférence de Brazzaville. A cette rencontre, martèle l’historien, aucune promesse n’a été faite, aucune initiative n’a été prise dans le sens de la décolonisation. L’auteur rappelle, d’ailleurs, que les résolutions prises à propos de l’avenir des colonies sont opposées à toute idée d’indépendance. Le professeur ANIGNIKIN réfute également le mythe des « indépendances octroyées ». Sa thèse de doctorat défendue en 1980 précise bien que «les Africains n’ont pas assisté les bras croisés à la conquête de leurs pays ». Mieux, « les Africains ne se sont pas résignés à la domination coloniale ». A cela s’ajoute l’action militante affirmée des élites occidentalisées. Enfin, le troisième mythe concerne les « pères des indépendances » pour désigner les premiers chefs d’Etats africains. L’habitude prise d’attribuer systématiquement la paternité des indépendances aux premiers chefs d’Etats de l’Afrique indépendante, n’est pas conforme à la réalité. Il rappelle que les politiciens traditionnels, débordés par les jeunes nationalistes avaient lancé le mot d’ordre d’indépendance immédiate au congrès constitutif du Parti de Regroupement Africain tenu à Cotonou du 25 et 28 juillet 1958. Contre toute attente, ces mêmes politiciens ont tourné dos à l’indépendance, presque deux mois après. En témoignent les résultats du référendum constitutionnel du 27 septembre 1958. « Ils ont tous, à l’exception de Sékou TOURE de Guinée, appelé leurs peuples à voter oui pour la communauté et à renoncer à l’indépendance », déplore l’auteur. Du coup, je m’interroge. Est-ce que le guide de la révolution en Guinée Bissau et au Cap-Vert, Amilcar CABRAL, avait tord lorsqu’il parlait du « cancer de la trahison » à l’annonce du décès de Kwamé NKRUMAH en 1972?

DECOLONISER L’HISTOIRE

Pour l’auteur, décoloniser l’histoire coloniale, c’est d’abord et avant tout, tenir compte du fait que la colonisation ou mieux, la « situation coloniale » a mis en jeu le colonisateur et le colonisé. Quelles sont alors les initiatives prises par chacun des deux acteurs ? Il n’y a que l’étude bibliographique pour renseigner sur la production des connaissances sur la décolonisation. L’auteur note la présence massive des sources produites par le colonisateur. A l’opposé, c’est l’absence quasi-totale des sources produites par le colonisé. Dès lors, il estime que le renouvellement des sources s’impose et passe prioritairement par la prise en compte des sources produites par le colonisé. Elles sont constituées de la presse de combat, des pétitions, des tracts, de la littérature militante des partis politiques, du mouvement syndical et surtout du mouvement associatif. S’agissant de la réévaluation des contextes des faits historiques qui fonde la décolonisation, l’auteur révèle en premier lieu que le contexte de la fin de la deuxième guerre mondiale était largement favorable à l’autodétermination des peuples. Il identifie un deuxième contexte créé par la guerre d’Indochine. « La défaite française le 7 mai 1954 à Dien Bien Phu a définitivement ruiné les ambitions expansionnistes de la France en Indochine », analyse-t-il. Enfin, selon l’auteur, le contexte créé par l’indépendance du Ghana était perçu par les dirigeants africains comme la fin du mythe de l’«incapacité notoire du Noir».

QUEL BILAN POUR LE CENTENAIRE ?

La jeunesse africaine s’est fortement impliquée dans l’action politique des indépendances. Beaucoup de jeunes ont, ainsi, inscrit leur nom au panthéon de l’histoire et de l’émancipation de l’Afrique. Selon l’auteur, le rôle d’avant-garde de la jeunesse béninoise (hier dahoméenne), par exemple, a été marqué par la volonté du changement, le culte du progrès et une disposition à la générosité et à l’altruisme. Si le bilan du cinquantenaire des indépendances est moins reluisant sinon négatif, la génération actuelle doit, sans conteste, se fixer de nouveaux objectifs. L’appel de Frantz FANON est pressant : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir. » Une anecdote rapide comme si le hasard n’existait pas. J’ai entamé la lecture de ce livre le vendredi 4 octobre. A la page 36, il est évoqué le contexte de la guerre d’Indochine avec une précision de la défaite française du 7 mai 1954 à Dien Bien Phu. Sur ces entrefaites, j’allume fortuitement le poste téléviseur. Curieuse coïncidence, l’annonce du décès du général vietnamien Vo Nguyen GIAP, vainqueur de Dien Bien Phu défile en boucle. Pas de vanité. C’est déjà bien de savoir qu’il est enseigné dans le programme des classes terminales au Bénin, « Les luttes pour l’indépendance en Afrique et au Bénin » dans la Situation d’Apprentissage N°4 (entendez Chapitre 4). Ce livre d’histoire de 170 pages réparties en six chapitres, est alors un document de référence pour enseignants et apprenants. D’ailleurs, tout lecteur, de surcroît, tout jeune se délecte le nouveau regard de l’auteur sur le processus de décolonisation en Afrique noire. A la fin, le lecteur s’interroge, médite et se fait fort d’apporter sa contribution dans le prochain bilan du centenaire des indépendances. Pas question de se résigner. Le titre provocateur de l’ouvrage révolutionnaire « Indignez-vous » de Stéphane HESSEL constitue une source supplémentaire de motivation à agir. Le message culte de cet auteur français décédé le 26 février 2013 est, on ne peut plus clair : « Nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre l’héritage de la Résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous.» Si l’appel de HESSEL ne fait pas tilt, l’artiste slameur béninois Kmal RADJI doit davantage hurler : « Assume ta jeunesse ! Allume ton cerveau.»

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
commentaires

Haut de page